Qui suis-je ?

Alors que j’étais encore un enfant, quand je partais en voyage avec mes parents, j’emportais avec moi un carton à dessin. Les passants étaient parfois surpris de me voir assis en train de dessiner un arbre ou un temple pendant que mes parents étaient occupés ailleurs. Ce souvenir constitue une sorte de scène primitive où la notion de contemplation prend racine dans mon existence.
Et puis vint l’époque où de petites antennes m’ont poussé sur la tête. J’étais étudiant au cours préparatoire de l’école de photographie de Vevey. On nous avait donné pour consigne de nous promener en ville et de ramener des images. Se promener avec les sens en éveil, aux aguets, à la recherche de quelque chose qui soit digne d’une célébration photographique, c’était une expérience hypersensible qui me restituait un monde foisonnant. Hypersensible je l’étais, dispersé, tiraillé entre mille passions, à la traine de mes élans, escargot devant un horizon aux multiples facettes, celles qui se sont déployées durant d’interminables études d’art à Genève où je me passionnais pour la peinture, la sculpture, le cinéma, la littérature, des études d’art où je découvrais aussi la philosophie et les sciences humaines, qui me passionnaient tout autant, et que je savais bien mieux accueillir que restituer.

J’ai mené plusieurs vies, non pas seulement successivement mais simultanément. Le sport en pleine nature a aussi beaucoup compté pour moi, où je troquais ma lenteur d’escargot contre l’agilité du lézard. Mais ma patrie n’était ni celle des grottes, ni celle des canyons, ni dans la neige ou les sous-bois, où j’étais pourtant bien à l’aise. Ma patrie, je la reconnaissais surtout dans les livres. Il m’a fallu bien longtemps pour en réaliser à mon tour, des livres, avec la persévérance de l’escargot.
Peu de gens aiment les livres. La télévision trône au milieu de leur salon comme l’église au milieu du village, ils tournent le dos à ces murs qui auraient pu accueillir des bibliothèques – oh que j’aime les bibliothèques.
Revenons à la notion de contemplation. La photographie est pour moi une façon de peindre. La matière et la lumière fournissent une palette offerte au long du chemin. Le cadrage et la composition sont mes pinceaux. Je ne prétends pas que la poésie soit toujours au rendez-vous, ni chez moi ni chez personne, mais ma lenteur me permet pour le moins d’admirer. Je suis un escargot.

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